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Dans la Selva

Jeudi 20 Juin 2019, 80 km pour atteindre Puyo et changer radicalement d'ambiance. Il pleut des trombes cette après-midi, on ne verra rien de la route des cascades qui jalonnent par centaine la descente vers le bassin amazonien. Aloys en profite pour se remettre de ces deux jours sportifs, il a participé à tous les matchs de foot organisés sur l'aire de jeux de Baños. Son livre de chevet actuel "Où et quand partir ?" bien calé contre lui, il sombre en rêvant de futurs voyages. Il y a encore tellement de lieux magnifiques à découvrir.

Sur l'application Ioverlander on trouve un point d'arrêt devant un refuge d'animaux. A quelques kilomètres de Puyo mais en pleine forêt. Nous sommes au début de la Selva, à la frontière de l'Amazonie. On comprend qu'ici on peut donner quelques heures de son temps pour aider le propriétaire à entretenir ses installations et nourrir les animaux. Mais il est un peu tard, il pleut, on remet la visite à demain.

Nous nous installons sur le parking de Don Goyito, un vieux monsieur un peu sourd qui habite juste en face du refuge. On apprécie toujours autant ces lieux où seuls les murmures de la nature ont le droit de cité. Quelques cris résonnent, les singes certainement, los monos, pensionnaires d'un Suisse et d'une Équatorienne dont la maison est devenue peu à peu le dernier refuge de ces animaux malmenés par les hommes.

Vendredi 21 Juin 2019, après l'école on pénètre dans le tunnel de verdure qui nous conduit vers la maison, accueillis par deux petits Sapajou farceurs, ces singes-écureuil qui sautent partout. La pluie tombe mais la végétation abondante la retient.

Arrachés à la Selva, vendus, abandonnés par des particuliers les singes ne pourront plus être relâchés. Ils occupent de grands enclos dans la forêt et peuvent faire leurs curieux par un système de tunnels grillagés qui courent au-dessus de nos têtes.

Singes laineux, Sapajous, Capucins et même Coatis, Tortues, Aras, Ocelot, ce petit monde cohabite chez Yvan et sa femme, entièrement dévoués à leur cause. Leur maison abrite de grands dortoirs pour recevoir les volontaires, tout le monde déjeune à la même table, chacun son tour de vaisselle (en principe !), une sorte de colo permanente pour grands enfants. Et les enfants justement sont acceptés, ce qui est rare dans les refuges.

La propriété compte quelques hectares d'une forêt dense et humide traversée par un rio. Il pleut, on s'enfonce dans l'humus et la boue.

Une famille en fin de tour du monde et leurs trois filles, Dune, Jade et Azur, s'est installée ici pour une semaine. Elles connaissent maintenant chaque animal et nous donnent plein d'explications. Sympa pour Aloys. L'après-midi Gaspard propose un coup de main et installe une lampe à l'extérieur. Le soir tout le monde partage un plat de pâtes avant de retourner soigner ou nourrir ceux qui en ont besoin. Un boulot permanent, pas de vacances, monter un refuge est une grosse responsabilité.

Samedi 22 Juin 2019, au petit-déjeuner on entend la forêt bouger.

Une boule laineuse saute de branches en branches.

Fascinant spectacle que ce singe haut perché face à nous. Il fait partie du centre mais évolue librement. Ayant perdu tous ses instincts il n'ira jamais plus loin, incapable de trouver sa nourriture tout seul.

On observe aussi la nature qui produit de drôles de plantes entre fleurs et fruits.

Puis c'est l'heure d'un dernier échange avec les copains, Léonardo et Jéronimo ! Les bénévoles se croisent, une mère et sa fille arrivent tout droit de France pour trois semaines, Yvan et sa femme ne manqueront pas de bras. On quitte ce petit nid où des animaux qui devraient être sauvages dépendent maintenant entièrement de la bonne volonté de ceux qui veulent bien se préoccuper de leur sort.

Une centaine de kilomètres plus loin on s'arrête à Puerto Misahualli, un de ces minuscules pueblos le long du rio Napo. Quelques jolis lodges se sont insérés discrètement dans la nature, gérés par les communautés autochtones. Celui-ci nous accepte pour la nuit.

Nous sommes seuls à profiter de l'immense restaurant qui propose des produits de la région. Frites de manioc et guacamole, Tilapia, gros poisson du rio, cuit dans une feuille de bananier, banane plantain, riz aux crevettes et lait de coco, tout est délicieux.

La communauté élève des poissons dans plusieurs bassins. Certains poissons font plus de trois mètres, des monstres.

Les bungalows nous font de l’œil mais nous ne cédons pas, Philéas nous suffit.

Aloys sort son jeu de tennis et les enfants de la communauté se relaient pour taper dans la balle. Certains apprennent vite.

L'endroit est paradisiaque mais la nuit piquante !

Dimanche 23 Juin 2019, Philéas roule sur une piste en Amazonie. Il y a presque un an nous étions à Manaus. Un souvenir inoubliable, l'un des plus beaux de ce périple. Rien à voir aujourd'hui avec ce que nous avions vécu sur le Rio Negro mais nous retrouvons l'ambiance particulière de ce bassin légendaire. Végétation luxuriante, odeurs, moiteur, nonchalance de ceux qui vivent sur les rives humides et boueuses des rios, bruits d'animaux malheureusement de plus en plus rares surtout dans cette région assez peuplée. Nous n'allons pas très loin dans la selva, la piste mène à un "port" d'où nous prendrons une pirogue pour aller visiter un autre refuge.

Arrivés au bout de la piste nous téléphonons au refuge pour que l'on vienne nous chercher. Les gens qui "gardent" Philéas sentent l'alcool, nous ne sommes pas très rassurés ...

On attend la pirogue, le courant semble très fort sur le rio. Il a énormément plu ces derniers jours un peu partout en Équateur. Mais les bateaux sont taillés pour affronter les éléments et équipés de puissants moteurs pour contrer le courant.

La balade ne dure qu'une dizaine de minutes. On accoste au refuge. Ici les animaux récupérés vivent dans d'immenses enclos, il est donc difficile de les voir. Mais Aloys n'a d'yeux que pour l'anaconda, il rêvait d'en approcher un de près, on préfère que ce soit derrière la vitre d'un aquarium ! La gentille bénévole équatorienne qui nous accompagne nous raconte des histoires tristes à pleurer sur le sort de ces animaux avant leur arrivée dans ce havre de paix qui reste cependant une prison dorée pour les magnifiques aras aux ailes coupées, les singes ne sachant se nourrir, les félins incapables de retrouver leur instinct. Et l'histoire de ce singe arrivé il y a peu qui s'est lui même mutilé la patte pour se débarrasser des ses chaines ... J'en oublie de prendre des photos.

On repart au sec malgré le ciel bas et menaçant caractéristique en cette saison.

De retour à l'embarcadère les bananes venues de l'autre rive sont prêtes à être emportées vers les marchés de Quito.

Nous repartons avec l'envie de faire une boucle dans cette région de l'Oriente puis de prendre la route vers Quito à l'ouest.

On rejoint la route principale qui reprend de l'altitude. Et toujours ces nuages qui stagnent au-dessus de la forêt. On trouve refuge avant la nuit sur le terrain d'une communauté.

Lundi 24 Juin 2019, une jolie rivière coule en bas du terrain sur lequel nous avons passé une nuit au frais. Un monsieur vient discuter avec nous et nous apprend que la route vers Quito est fermée, un pont a été emporté. Elle n'ouvrira pas avant des semaines. On décide de faire demi-tour et de repartir vers Baños, seule alternative possible pour quitter la région.

Retour donc du côté de Puerto Misahualli où chacun profite d'une accalmie du ciel pour faire sécher les fèves de cacao directement sur le bitume bien chaud.

Arrêt dans un joli lodge pour déjeuner, nos réserves sont presque vides. Nous sommes absolument seuls à profiter de ce bel endroit. Nous trainons un peu gagnés par une certaine nonchalance. Mais Baños est quand même à 150 km, il fait presque nuit lorsque nous franchissons la route des cascades et les nombreux tunnels creusés directement dans la montagne. A la soixante-dixième cascade nous arrêtons de compter ! Elles coulent de la montagne en filet, en rugissement, droites somme des i ou tortueuses, il y en a pour tous les goûts. Difficile de s'arrêter en chemin, bus et camions se pressent sur cet axe. En un rien de temps nous revoici dans la Sierra, dans ce petit pays si varié les frontières sont minces.

Lundi 24 Juin 2019, enfin du soleil sur Baños.

Pour apercevoir le Tungurahua quand il daigne se dévoiler il faut prendre de la hauteur. La ville est protégée des coulées de lave par des collines mais ce stratovolcan reste très dangereux. Les habitants sont formés à l'évacuation en cas d'alerte, on nous dit qu'il suffit de suivre les pancartes pour se mettre en sécurité. On essaie de les repérer, au cas où.

On grimpe une dizaine de kilomètres, au-dessus des nuages. A la Casa del Arbol on a une vue magnifique sur le volcan. Et, en prime, des balançoires qui s'élancent au-dessus du vide et une tyrolienne qui file à toute allure.

Un dernier regard sur le monstre assagit qui culmine à plus de 5000 mètres, débarrassé de ses neiges éternelles depuis ses récentes explosions. Dans la nuit une sirène stridente nous réveille. Un court instant, le cœur battant, on se remémore les pancartes à suivre dans la ville. Rues désertes. Fausse alerte, c'est une alarme qui semble n'émouvoir personne. Vivre au pied d'un volcan ce n'est pas pour nous mais on imagine qu'à force on doit oublier le danger, comme les 20 000 habitants qui dorment paisiblement.