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Titicaca et l'île flottante

Jeudi 25 Avril 2019, mission accomplie. Nous avons tapé aux portes des modestes maisons en pisé et trouvé une dame dont le mari, Freddy, a un bateau et pourrait nous embarquer vers les îles flottantes de Titino, au milieu du lac.

Elle nous propose un emplacement pour Philéas. Vue sur l'embarcadère. Manifestement le niveau du lac a beaucoup baissé ces dernières années, les pontons sont à sec. En attendant Freddy on observe les vêtements traditionnels des femmes et leur drôle de chapeau orné de deux pompons très colorés. Chemise brodée, boléro et jupe à volants complètent leur tenue typique portée fièrement. 13h30, Freddy arrive, on embarque.

Nous sommes contents de prendre l'air lacustre, de naviguer à presque 4000 m d'altitude !

Une bonne trentaine de minutes plus tard nous posons le pied sur une île incroyable faite de joncs du lac, le totora. Les premiers pas sont hésitants, on a peur de s'enfoncer, de tanguer. Le chef nous accueille et nous propose de nous asseoir pour nous expliquer comment se construisent ces îles artificielles conçues par le peuple Uros pour échapper aux Incas au XIII ème siècle. Aujourd'hui disparus, les Uros ont laissé leurs traditions aux Aymaras qui continuent à les faire vivre et à utiliser le totora pour toutes leurs constructions.

Les mottes de totora sont découpées dans les eaux peu profondes, tirées vers les eaux profondes, là où elles peuvent flotter, puis assemblées pour constituer une île. Amarrées par des pieux et de longs cordages pour les empêcher de dériver elles sont enfin couvertes d'une bonne couche de totora qu'il faut renouveler tous les 15 jours. Chaque maison de totora abrite une famille, une seule pièce surélevée et des couvertures au sol en guise de lit. On n'ose imaginer les conditions de vie en période de pluie ou de grand froid.

Une hutte sert de pièce centrale pour toute la communauté. La cuisine se fait à l'aide d'un foyer en terre cuite même si aujourd'hui ils se servent aussi de bouteilles de gaz, quand même plus pratique, et de panneaux solaires pour avoir un peu d'électricité.

Les habitants vivent du troc avec les Aymaras des bords du lac. Deux femmes nous miment un échange avec beaucoup de sérieux ! Poissons du lac contre papas, quinoa, blé, chuña.

Cinq familles vivent sur cette petite île, cinq frères et sœurs et leurs enfants. Tous les 30 ans il faut la refaire entièrement, 14 mois de travail en perspective pour la communauté. Chaque matin les enfants vont à l'école en bateau sur l'île-école et étudient en langue Aymara. Une maman m'explique qu'elle a besoin de l'argent du tourisme car elle veut que ses enfants fassent des études.

Pour Aloys cette île est un drôle de paradis mais il lui manque le sable pour creuser !

On nous propose un tour dans une pirogue particulière, toute en totora, lourde à manier. On apprend qu'aujourd'hui on les construit avec des bouteilles de Coca récupérées, idéal pour la flottaison ! Entourées de totora et le tour est joué ! Mais le concept reste très traditionnel et encore employé pour aller cueillir le totora sur le lac même si les bateaux à moteur sont bien évidemment très utilisés, plus rapides et beaucoup plus maniables.

Aloys file un coup de main pour manier la rame et constate l'effort qu'il faut fournir surtout lorsque le vent se lève.

On s'aventure dans les joncs, ce fameux totora qu'il faut récolter chaque semaine. Les plus jeunes pousses se mangent crues. On a goûté,c'est un peu fadasse.

A l'aide d'une perche au bout de laquelle est fixé un couteau, le jonc est coupé, ni trop court, ni trop long, il faut qu'il puisse repousser facilement. Tout un art. Les Aymaras récoltent aussi les œufs des poules d'eau qui peuplent le lac par millier.

Au loin l'orage du soir gronde un peu rendant la lumière encore plus belle. Il est temps de regagner la terre ferme et laisser le peuple de l'eau s'organiser pour la nuit. C'est leur vie, ces quelques mètres carrés flottants, ces habitations précaires, ouvertes à tous vents (et il souffle ici, tout le temps, dans un sens le matin, dans l'autre le soir). Un peu de modernité leur apporte un maigre confort, quelques watts le soir pour éclairer leurs discussions au coin du gaz qui chauffe la soupe de quinoa, pour guider les doigts des femmes qui brodent les tenues traditionnelles ou les tissus destinés aux touristes, pour illuminer les sourires des enfants encore insouciants.

On rejoint la rive du lac dans le silence du soir qui tombe en pensant à ces gens, si près, si loin, à leur petite île fragile au ras de l'eau, à leur courage pour transmettre à leurs enfants une culture héritée d'un autre peuple tout en rêvant pour eux d'un avenir moins incertain. Il va falloir surtout qu'ils résistent au tourisme de masse pour ne pas transformer leur vie en scène de théâtre.

Le pétillant et souriant Freddy nous ramène sur la jetée. Il rejoint sa femme et son adorable petite fille, nous retrouvons la chaleur de Philéas pour une dernière nuit au bord de ce lac envoutant. Demain, cap sur la mythique Cuzco et sa Vallée Sacrée.