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Lima, Caral, Capitales

Mardi 21 Mai 2019, hier Gaspard a déclaré forfait, vaincu par le mal du voyageur ! Huiles essentielles et repos toute la journée, j'en ai profité pour mettre mes photos à jour, Aloys a joué tranquillement sur la place de ce coin de Barranco. Ce matin tout est rentré dans l'ordre et tout le monde a envie de se dégourdir les jambes. Nous sommes loin du centre, dans un quartier plutôt résidentiel de cette ville de 9 millions d'habitants. Elle n'a pas vraiment une bonne réputation chez les voyageurs, il parait qu'il n'y a pas grand-chose à voir malgré son centre classé au patrimoine mondial. Fondée en 1535 par Pizzaro elle a gardé quelques traces de son architecture coloniale.

Le climat n'est pas très engageant. La brume qui monte du Pacifique enveloppe la côte presque toute la journée en cette saison. Il y pleut très peu mais l'air est très humide.

Le temps de prendre un taxi qui nous dépose une demi-heure plus tard au cœur de la ville et le ciel s'est dégagé. La Plaza de Armas se dévoile entourée d'une cathédrale baroque et du palais présidentiel. On la trouve plutôt jolie cette grande place plantée de palmiers mais il faut avouer qu'à part ça il n'y a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Les rues avoisinantes, rectilignes et sans vraiment de charme, sont bondées de Limeños pressés. Certes de beaux bâtiments émergent de temps en temps mais rien ne donne envie de flâner. Nous tentons de traîner un peu après un déjeuner dans un restaurant typique mais le bruit incessant des klaxons nous fait fuir.

Notre emplacement avec vue est un havre de paix après le bruit, la foule et les embouteillages d'une grande capitale. Des surfeurs prennent la vague dans la grisaille revenue et malgré l'eau froide.

Mercredi 22 Mai 2019, nous consacrons cette troisième matinée à chercher des pneu dans le quartier adapté. Une fois trouvés il faut les faire monter. Puis traverser tout Lima au pas pour reprendre la Panaméricaine ... une journée entière, une épreuve. Et une fois de plus on se retrouve sur la route à la tombée de la nuit. On se réfugie dans un parc naturel bordant la Panam'. Le garde nous ouvre la barrière et nous nous enfonçons sur une piste de sable dans la nuit noire. Arrivant au lieu indiqué pour bivouaquer nous sommes bien contents d'y être absolument seuls, dans un silence absolu. La ville, on ne peut plus !

Jeudi 23 Mai 2019, rien de fou cette réserve naturelle dominant le désert. A la saison des pluies elle se transforme en vaste jardin mais en ce moment la végétation est ultra sèche, pas l'ombre d'un oiseau et toujours le brouillard. Quand il se dégage enfin on distingue les hangars dans lesquelles sont entassées de pauvres poules pondeuses qui ne verront jamais un brin d'herbe de leur courte vie. Ils jalonnent le désert depuis des centaines de kilomètres, alignés comme à l'armée. Drôle de monde ...

Notre prochaine étape est un lieu particulier, le site archéologique de Caral, datant de 2600 ans avant JC, plus ancienne cité du continent Américain. La route est très mauvaise, il y a une rivière à traverser à gué et pour finir on nous conseille de ne surtout pas camper en "sauvage" car des types armés n'hésitent pas à attaquer les voyageurs avec violence. On s'arrête donc avant l'entrée du site et demandons à pouvoir mettre Philéas dans le jardin de la maison des archéologues. Un gardien nous accueille et nous affirme que nous serons en sécurité, il est armé et d'autres vigiles font des rondes aux alentours. Il nous confirme que la côte nord du Pérou n'est pas sûre et qu'il faut faire très attention. Pour la première fois depuis le début de cette aventure nous nous sentons vulnérables et de savoir que des hommes armés veillent sur nous ne me rassure pas du tout !

Vendredi 24 Mai 2019, ils sont matinaux les archéologues et leurs ouvriers. A 6h tout le monde est réuni dehors, juste devant nos fenêtres, pour un briefing qui dure, qui dure ! Tous en uniforme beige, pelles et pioches à la main, ils partent fouiller le site immense. Nous leur emboitons le pas dans le désert pour partir à la découverte de cette cité contemporaine des grandes pyramides d’Égypte.

C'est dans le brouillard que nous découvrons les vestiges de cette ville antique bâtie sur un plateau aride.

Ce site serait l'endroit où aurait été fondée la première civilisation américaine environ 2600 ans avant JC. Nous sommes dans la vallée du rio Supe où devaient vivre à cette époque environ 10 000 personnes réparties sur de nombreux sites. De petits groupes se seraient rassemblés pour former une cité-mère. Religion et politique apparaissent autour de prêtres qui font élever des pyramides tronquées, au dernier étage plat. Six d'entre elles se dressent, chacune devant une grande place publique et entourée de maisons comme une église au cœur d'un quartier. Un grand amphithéâtre creusé dans la terre pouvait accueillir plusieurs centaines de personnes. Chaque pyramide avait un foyer alimenté par un conduit qui aspirait l'air extérieur, un conduit de ventilation.

Les fouilles continuent. Pas de céramiques, ni de métaux précieux, pas d'armes non plus. Mais de nombreuses flûtes en os de condor, l'art musical devait être important. Et des colliers de coquillages. Ils devaient pratiquer le troc avec les gens de la côte, de la Cordillère et même ceux de la forêt amazonienne. Les rivières alimentées par les neiges de la Cordillère permettaient la culture du coton qui devait servir pour le troc. Pour leurs constructions ils fabriquaient des filets qu'ils remplissaient de pierres de rivière et qu'ils empilaient. On pense que cette technique permettait une meilleure résistance aux tremblements de terre très fréquents ici. Ils solidifiaient aussi leurs murs à l'aide de pieux en bois.

Ce monolithe a été taillé exactement à la forme de la montagne derrière lui. Pour les activités astronomiques ? Le cycle des cultures ? Les rituels de cérémonies ?

Ville sacrée, grande puissance religieuse, architecture monumentale, Caral nous impressionne par son âge et son état de conservation. Abandonnée certainement à cause d'un épisode El Niño et d'un très gros tremblement de terre elle est restée ensevelie sous le sable et n'a été découverte que tardivement. Il reste encore beaucoup à en apprendre, on aimerait être à la place de ces archéologues qui fouillent chaque jour avec espoir. Comme il y a 5000 ans le rio Supe coule encore dans l'étroite vallée et permet la culture de ces même terres.

Et les choses ont peu changé depuis, gestes millénaires pour tracer les sillons entre les pousses de piments. Le climat doux favorise aujourd'hui la culture des fruits exotiques et de la canne à sucre.

C'est en reprenant un peu d'altitude que l'on retrouve le soleil. Les piments cueillis plus bas sèchent à même le sol avec les épis de maïs. On remonte dans la Cordillère, la côte ne nous attire pas, trop de petites villes sans charme, sales, des plages sans intérêt et à priori pas mal de délinquance et de violence. Fuyons !

La route de montagne est longue alors de temps en temps on y trouve des "toilettes" pour voyageurs pressés ! Nous n'avons pas essayé, bien contents d'avoir nos propres baños dans Philéas, le grand luxe.

Nous nous arrêtons dans un pueblo de la Cordillère, Cajacay, qui semble bien tranquille. Nous choisissons la place du village (très kitsch comme souvent !) pour être sûrs d'y trouver des enfants. Il ne faut que quelques minutes à Aloys pour lier connaissance. Une longue soirée de jeux en perspective. Beaucoup de filles. Je leur donne quelques petites babioles, bracelets, coloriages, peinture. Mais au bout d'un moment c'est le défilé devant la porte !

Je discute longuement avec eux, cours de géographie sur l'Europe, la France, ils ne semblent pas très calés sauf sur les équipes de foot et là c'est moi qui sèche lamentablement !

Aloys est ravi de pouvoir partager les jeux de ces petits Andins fascinés par notre voyage, curieux, plein d'énergie. Certains sont effacés, d'autres font les clowns, un des garçons, plus sérieux, plus réfléchi, pose plein de questions avec des étoiles dans les yeux. Et au moment de la photo nombreux s'éclipsent, trop intimidés pour poser. Il est tard, les mamans crient du seuil des modestes maisons, la place retrouve le calme propre à ces petits villages qui vivent au rythme du soleil.