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Sur la route de l'adobe

Mardi 12 Février 2019, après notre plongée dans le Trias nous retrouvons la terre ferme à Villa Union, petit pueblo sans intérêt si ce n'est qu'on peut y faire laver du linge. Il faudra, après renseignements, aller frapper à la porte d'une maison. Un monsieur d'un certain âge nous ouvre et nous explique que c'est lui le lavadero, un homme, c'est rare ! On lui confie notre sac de linge, on le récupèrera demain. On se met dans un coin du pueblo, un genre de "parc' municipal qui semble calme. Mais à 22h pétantes retentissent des tambours. C'est la fanfare du pueblo qui s'entraine pour le carnaval juste sous notre nez , grosses caisse et cymbales dans le crâne jusqu'à minuit et demi.

Heureusement la vue le lendemain compense le manque de sommeil. On récupère notre linge dans l'après-midi, impeccable, bien plié et qui sent discrètement bon contrairement à toutes ces laveries qui balancent un coup de Fébrèze direct dans le sac sur le linge fourré en boule. Merci monsieur le lavadero ! Le temps de tout ranger et de refaire les lits il est déjà tard, on décide de ne pas bouger en pariant sur le fait que la fanfare ne jouera pas deux nuits de suite, ils doivent être fatigués ... Raté ! 22h, grosse caisse et cymbales...

Jeudi 14 Février 2019, chau Villa Union et qu'il pleuve bien fort le soir du Carnaval !

La ruta 40 part dans un décor de cactus. Elle est parsemée d'oratoires et de bouteilles en plastique ... déjà que l'Argentine est un pays jonché de déchets ... on trouve ça dingue mais c'est la tradition de la Difunta Correa . Une légende raconte qu'au milieu du XIX ème siècle Deolinda Correa voulu suivre la troupe armée de son mari, enrôlé au cours d'une guerre civile. Elle traversa les déserts de San Juan avec son bébé et deux gourdes d'eau sous une chaleur accablante. A bout de forces elle se coucha sous un arbre et mourut de soif. On la retrouva le lendemain, son bébé vivant accroché à son sein. Depuis on lui prête des miracles et on lui offre de l'eau ... un peu tard quand même ...

Ce sanctuaire remporte la palme du kitsch !

Tous ces cactus. C'est un décor nouveau et exotique, on a changé de pays. Nous n'avions pas du tout préparé cette partie de l'Argentine, nous sommes surpris et conquis. Une vraie découverte.

A Chilecito on fait le plein de couleur dans une verduleria où les patates douces font la taille d'une courge.

Pique-nique fraicheur au pied de la montagne avant de repartir de plus belle sans se poser la question de la direction.

Et comme le bitume c'est monotone dès qu'on voit une piste on bifurque ! On prend soin avant de bien vérifier la météo, en cas de simple pluie ça peut vite tourner au cauchemar car on traverse des tas de bras de rivières à sec qui risquent de se transformer en torrents boueux en un clin d’œil.

Mais aujourd'hui le soleil tape bien, la piste est bonne, on apprécie. On entre dans la région de Catamarca. Les pueblos étaient construits en adobe, brique de terre crue, enduit de terre et paille. Maintenant les gens préfèrent la brique ou le parpaing mais il y a encore de beaux témoignages le long de la route qui mène à Fiambala et à la frontière avec le Chili, la route de l'adobe.

En entrant dans les ruelles d'El Puesto on tombe sur un oratoire en adobe restauré. Chapelle privée du début XVIIIème. Heureusement qu'il ne pleut pas beaucoup, ces constructions semblent bien fragiles et demandent pas mal d'entretien pour résister au temps.

Même les nids sont en adobe !

Et les arbres servent d'abri original !

La région est sèche mais les habitants irriguent en prenant l'eau du rio pour cultiver vignes et oliviers.

Un peu plus loin une ravissante petite église non loin de la route. Restaurée elle aussi dans les règles de l'art, elle date de 1772. Son style est un peu étrange dans le paysage, un peu néo-classique avec ses grosses colonnes, typique du passé néo-colonial du nord ouest Argentin. Elle trône là , comme ça, au milieu de rien, de la terre dont elle est faite.

Autre témoignage, un Mayorazgo. A l'époque coloniale c'était un ensemble de biens fonciers ou de rentes rattachés à un titre ce qui permettait de transmettre l'ensemble du patrimoine d'une famille à son héritier porteur du titre.

Seules les perruches de Patagonie troublent de leurs cris la quiétude de ce lieu. En bande elles ne cessent de voler dans tous les sens, passent et repassent à toute allure, difficiles à attraper dans le viseur.

En fin de journée nous arrivons à Fiambala, connue pour être une étape du Dakar. Dernière ville avant la frontière Chilienne. Rien de rare la bourgade. Construite le long du rio Abaucan comme une oasis, elle aussi cultive la vigne et quelques arbres fruitiers grâce à l'irrigation. En voulant acheter du raisin on tombe sur un monsieur qui nous emmène sous sa jolie vigne, bien pratique pour cueillir les grappes sans se fatiguer. Il nous propose 3 kg pour cent pesos,( 2.20 euros). On remplit un  sac, il fait semblant de le peser avec une balance qui de toute façon ne fonctionne pas, rajoute des tas de grappes au passage et on repart avec au moins 5 kg de raisin délicieux et bio.

On tourne un peu dans la ville pour trouver un coin tranquille puis on finit par traverser un pont et on tombe  rapidement sur un drôle d'endroit ...

Vendredi 15 Février 2019, petit déjeuner original dans un décor incroyable. C'est une petite dune isolée dans un paysage désertique. Les autres dunes de Fiambala, les dunes de Taton, immenses, sont un plus loin et bien connues des coureurs du Dakar. Nous nous contentons de celle-ci, accessible pour Philéas et un beau bac à sable pour Aloys émerveillé de se retrouver là.

L'endroit est irréel, on a l'impression d'avoir complètement changé de pays, de continent. Et pourtant c'est bien l'Argentine, une autre facette de ce pays incroyable.

De Fiambala un cul de sac mène à des thermes . De l'eau sort des entrailles de la terre à plus de 60°.

Nous allons au bout de la route mais faisons demi-tour, il fait trop chaud pour aller se plonger dans des thermes même si plusieurs bassins refroidissent l'eau au fur et à mesure de sa descente.

De là-haut la vue sur la plaine désertique est imprenable.

Nous redescendons et reprenons la route d'hier, celle de l'adobe, repassons devant la jolie petite église, le village d'El Puesto puis rejoignons la Ruta 40 et un autre monde.

Contre le versant arrosé on passe devant une vieille demeure, construite au XIX ème par une famille espagnole. Transformée en hôtel elle propose aussi une dégustation de son vin maison. Halte sympa, vin moyen mais c'est agréable de retrouver de "l'ancien", des tomettes, des vieilles portes, c'est si rare dans ce pays plus habitué aux villes "au carré", sans charme et sans histoire.

L'excentrique Ruta 40 est impeccable sur cette longue longue longue portion.

Et en fin de journée nous la quittons pour nous enfoncer dans la "jungle" à la recherche du site El Shincal. Bien caché dans la végétation c'est le témoignage le plus austral de l'empire Inca.

La région du Nord-Ouest était peuplée d'indiens Diaguitas, peuple Calchaquies, lorsque les Incas sont arrivés du Pérou en 1470. Ils ont vite soumis les tribus locales pour les intégrer à leur culture. Les sites Incas étaient reliés entre eux par un système de routes et de relais très efficaces qui permettaient de transmettre les informations d'ici jusqu'à Cuzco, siège de l'empereur.

La ville aurait fonctionné entre 1471 et 1536., c'était un centre administratif très important, plus d'une centaine de constructions. On y voit les marches du temple du soleil qui fait face à celui de la lune, quelques murs reconstruits. Un guide Diaguitas nous accompagne et lorsque je lui demande s'il se sent descendant des Incas il me répond fermement que non, il est Diaguitas, les Incas ont soumis son peuple qui a réussi malgré tout à conserver ses traditions. L'Inca est donc l'ennemi mais il passe ses journées à faire visiter ce beau site et à parler de cette civilisation fascinante !

Quand les Espagnols arrivent en 1536 ils utilisent le site Inca comme base militaire avant de construire une petite ville à quelques kilomètres de là, Londres ! On se promène une bonne heure à travers les ruines avant que le site ne ferme.

On traverse Londres sans difficultés avant de trouver une piste et dans un renfoncement un oratoire qui sera parfait pour garer Philéas et nous endormir en rêvant de parures en plumes et de rituels étranges. Nos journées sont loin d'être monotones !