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Isla Chiloe, entre eau salée et eau bénite

Mardi 8 Janvier 2019, 9h, quai de Chaiten, froid et brouillard nous accompagnent pour les 4h de traversée jusqu'à l'île de Chiloé. -

Mais le ciel s'est dégagé lorsque nous arrivons au sud de l'île dans la petite ville de Quellon connue pour être le terminus de l'immense Panaméricaine, réseau de voies rapides qui traverse les Amériques depuis l'Alaska.

Une fois Philéas revenu sur la terre ferme sous le regard professionnel de l'équipage nous filons directement sur les routes de campagne à l'assaut des collines abruptes de cette île très particulière. D'environ 190 km de long sur une trentaine de large, sans compter les multitudes d'ilots, elle vit à l'écart du reste du Chili, conservant son mode de vie et ses fortes traditions. Cultures de différentes variétés de pommes de terre, ail aux gousses énormes, tissage de la laine et agriculture côté terre, élevages de saumons, huitres, moules et palourdes côté mer, mythes et légendes, forêt pluviale et plages désertes, le tout bien arrosé par le climat océanique. Et une spécialité gastronomique, le Curanto, à tester !

Mais Chiloé c'est des dizaines et des dizaines d'églises ou chapelles en bois, construites à partir du XVII ème mais surtout au XVIII ème par les Huilliches, peuple de Chiloé évangélisé par les Jésuites. Chaque pueblo, chaque hameau possède la sienne, lieu de rassemblement pour la communauté.

On craque immédiatement pour l'architecture, le bois peint, les bardeaux, la simplicité de ces constructions qui émaillent les routes, se cachent au fond d'une crique, se posent sur une prairie. Il y en aurait eu 300, il en reste une soixantaine dont 16 classées au Patrimoine Mondial de l'Unesco et restaurées par les artisans locaux.

Après l'averse, la lumière ... le ciel et l'oiseau ont revêtu leur habit arc en ciel pour notre premier bivouac au bord d'une des nombreuses baies abritées de l'est de l'île. 

Mercredi 9 Janvier 2019, on prend notre temps pour nous perdre sur les petites routes de terre. Les pentes sont parfois raides, on traverse des bouts de forêts, on atterri sur des plages, partout de petites maisons, l'île est loin d'être déserte. Et les églises bien sûr, parfois immenses dans des pueblos minuscules.

Queilen

C'est à Queilen que l'on trouve le lieu idéal pour profiter de notre salon avec vue. Entre élevage de moules et ferme de saumons.

On réalise que nous sommes pile en face de la plage de Santa Barbara à Chaiten où nous avions passé quelques nuits. Malgré le chapeau de nuages la vue sur le continent est magnifique.

Le volcan Corcovado daigne un peu se dévoiler. Quel temps de rêve.

Quelques têtes familières sortent de l'eau de temps en temps. Des otaries qui espèrent qu'un saumon bien gras s'échappe de sa cage. Certaines se posent sur les bouées pour guetter ou faire bronzette. Et ainsi passe la journée. Sereine.

On ne bouge pas, la nuit va tomber, on profite jusqu'au bout de la lumière dorée et du Corcovado débarrassé de son écharpe. On commence à avoir un sacré coup de cœur pour l'île et sa lumière.

Jeudi 10 Janvier 2019, il nous faut de l'eau ce matin, les réservoirs sont vides. Sur la plage de Queilen des hommes déchargent la cargaison des bateaux. Ce sont des algues, autre revenu de l'île. Séchées sur place elles seront envoyées au Japon pour la fabrication des sushis.

Un grand réservoir d'eau sert aux quelques maisons du coin mais peu sont occupées en ce moment. On demande aux ouvriers municipaux la permission de faire le plein. Ils sont tous en train de papoter à l'ombre de la cuve et ne veulent pas que je les prenne en photo ! Je comprends vite pourquoi ... ils cachent un litron de mauvaise piquette en pack qu'ils vident consciencieusement ! Il est dix heures du matin ! Et lorsqu'un camion de la municipalité se pointe au bout de la rue chacun se remet vite au boulot !

Nos cuves à nous sont pleines d'eau, on peut poursuivre notre route des églises entre mer azur et vertes prairies.

Chonchi

L'église de la petite ville de Chonchi est la première que nous visiterons. Elles sont toutes construites sur le même plan, plus longues que larges, bardées de bois, trois portes, des voûtes plus ou moins sculptées, un joli clocher souvent octogonal ou hexagonal pour résister aux tempêtes.

A Chonchi l'église est construite en haut de la colline. En bas un tout petit "front de mer", un marché qui ne cache rien d'autre que des articles pour touristes, une jolie maison couverte de tôles et une ravissante boutique déco. La panaderia aussi nous fait craquer avec son look vintage mais gare à la facture, on a souvent constaté au Chili des erreurs dans le rendu de monnaie ... jamais dans notre sens !

Un délicieux fumet chatouille nos narines. On en trouve l'origine. Un troquet. Une minuscule terrasse surplombant la rue. Et de l'agneau qui rôti doucement. On pensait manger poissons et crustacés mais aujourd'hui c'est le jour du cordero asado ! Et ici quand on dit pas de chichis c'est pour de vrai ! Un morceau d'agneau grillé sans une assiette en mélaminé, une patate jettée à côté, une feuille de salade, pas de sauce, pas d'huile et, oh drame pour Gaspard, pas de vin ni de bière !!! Mais un agneau craquant, de l'eau fraiche, du soleil et de la musique Chilote à plein tube !

Le festin avalé nous faisons une trentaine de km pour nous retrouver de l'autre côté de l'île, au bord de l'océan Pacifique. Sur la route de Cucao on croise un couple rencontré à Iguazù. On reconnait nos véhicules respectifs alors on s'arrête pour papoter un moment et faire un point sur les presque 4 mois écoulés. Ils repartent dans l'autre sens, nous on roule vers l'océan, attirés par le bruit des vagues.

Aloys est heureux de retrouver le Pacifique dont il nous parle tout le temps, océan dans lequel baigne son île natale. Sauf qu'ici on est loin du sable blanc et du corail ... La mer est froide, agitée, souvent dangereuse.

On restera là cette nuit. L'entrée du parc naturel de Chiloé n'est pas loin, on prévoit d'y aller demain.

Vendredi 11 Janvier 2019, on a dit climat océanique et l'océan a décidé qu'il pleuvrait ce matin. On abandonne donc l'idée de nous enfoncer dans la boue de la forêt pluviale du parc national. Changement de plan, on roule vers la "capitale", Castro, tout en nous arrêtant devant les églises de Vilupulli et Nercon.

A l'entrée de Castro les palafitos (maisons sur pilotis) donnent le ton. Leurs couleurs traversent la pluie battante. Bien à l'abri des marées aux amplitudes très élevées, elles semblent fragiles mais elles résistent aux tempêtes, tout comme leurs habitants.

Le ciel sombre ne nous décourage pas. On trouve une place pour Philéas bien gardé par un parc-mètre humain, une spécialité Chilienne. Dans les villes, lorsque le stationnement est payant, le trottoir est gardé par une personne qui nous donne un ticket à l'arrivée. On lui règlera la somme due en repartant. Et elle surveille son périmètre, ce qui est rassurant. On peut dévaler la colline et partir flâner sereinement au bord des quais.

Les femmes de la région tricotent de multiples choses, capes, bonnets, poupées, chaussettes, écharpes. Le marché est coloré !

A l'intérieur c'est aussi une débauche de laine, pour tous les goûts.

Quelques palafitos abritent des restaurants qui semblent bon marché. Les Chiliens s'y pressent pour une assiette de poulpe (bien battu sur place on confirme) ou de ce fameux Curanto dont on entend parler depuis notre arrivée. On suit le mouvement et on se retrouve dans une salle pleine à craquer de bonne humeur devant une assiette fumante d'un étonnant mélange : moules grosses comme une main, palourdes, poulet, saucisse et pomme de terre, le tout dans un bouillon. Un terre-mer bien représentatif  de l'île, tout y est ! Gaspard se lance à l'assaut du plat. Je me contente d'un ceviche de saumon sans conviction car après avoir vu les saumons grouiller dans des cages et être nourris avec des granules de je ne sais quoi j'ai un doute sur ce qu'on me fait avaler. Il parait que les pauvres bêtes sont truffés d'antibiotique mais que le Chili fait des efforts pour y remédier. Bref, on reste un peu sur notre faim même si le Curanto c'est nourrissant ! Mais il doit en exister de bien meilleurs ...

On apprend que ce plat ancien doit être cuisiné dans des feuilles de nalca, une sorte de rhubarbe géante, et cuit à l'étouffé sur des pierres chaudes recouvertes de terre. C'est exactement comme ça que l'on cuisine le bougna en Nouvelle-Calédonie mais dans des feuilles de bananier ! Preuve de l'échange entre les peuples des îles du Pacifique et le Chili depuis la nuit des temps.

L'église San Francisco de Castro fût construite au sommet de la colline. Détruite par un tremblement de terre et reconstruite en 1906 elle attire immédiatement par ses couleurs atypiques, du jaune et du violet, bien voyantes dans la grisaille.

A l'intérieur c'est tout le contraire, du bois, rien que du bois, un magnifique travail. On admire un long moment, on se laisse porter par l'ambiance sereine du lieu.

Cap sur Rilan au bout d'une presqu'île , tranquille et tout petit pueblo doté d'une belle église avec une voûte en éventail.

L'église de Quilquico, originale, se dévoile au bout d'une longue descente sur un petit chemin en terre mais son état laisse à désirer, elle mériterait un bon coup de pouce de l'Unesco ...

Au bout d'une autre pente très raide on trouve notre bivouac pour la nuit, près d'une maison aux esprits, vide ... enfin, je crois ... il m'a semblé voir un rideau bouger, notre imagination s'emballe ! Sur Chiloé les légendes se transmettent et elles sont nombreuses, peuplées d'elfes, de serpents créateurs, de couple malfaisant, de bateau fantôme ou de sirène. La mythologie Chilote constitue l'identité des indiens Mapuche Huilliche.

Dalcahue

Samedi 12 Janvier 2019, nuit pluvieuse mais sans esprits ! De bon matin on remonte la pente, Philéas fait ça comme un chef. Traversée de la presqu'île pour revenir sur la route principale de Chiloé et poursuivre nos visites des plus belles églises.

Celle de Dalcahue a de belles colonnes en faux marbre et un confessionnal dont Aloys ferait bien sa cabane mais pour une fois il s'abstient ! Je dois reconnaitre que c'est tentant. 

Dans la rue pour le coup on se laisse tenter par des délices bassement terrestres. Gaspard déguste quelques huitres de l'île, petites, plates et très charnues. On achète une belle poignée de palourdes bien fraiches mais on laisse les moules, on les trouve beaucoup trop grosses, comme en Nouvelle-Zélande.

Les gousses d'ail sont gigantesques, de la taille d'une pomme de terre. Mais il a un parfum très doux.

On trouve même un fromager ! mais il n'y a pas le choix, tous pareils ! Fromages de vache au bon goût de lait frais. Ce sera toujours mieux que les affreuses tranches sous-vide que l'on trouve dans les supermarchés.

Il vend aussi un miel délicieux et les fameuses pommes de terre de Chiloé, espèces indigènes dont la pomme de terre violette. On discute un bon moment avec ce charmant monsieur avant d'attraper le bac qui nous dépose en quelques minutes juste en face, sur l'île de Quinchao.

Isla Quinchao

Le ciel gris se dégage brusquement nous offrant un joli panorama. Ici aussi les églises se succèdent le long du littoral.

Celle de Curaco de Vélez, en vert pomme, ça pète. Et un plafond en forme de coque inversée.

Il fait chaud sous le soleil revenu. On ne sait plus à quel saint se vouer côté température. On cherche l'air marin pour une pause déjeuner rapide. Et on repart vers nos églises.

Celle d'Achao. Plus sobre à l'extérieur mais dotée d'un magnifique plafond.

Et celle de Quinchao. La plus grande. Mille mètres carrés au bout du monde, au milieu de rien !

Comme nous Aloys est enthousiaste, curieux de savoir ce qui se cache derrière chaque nouvelle façade. Et je ne compte plus les cierges allumés au gré de nos visites pour toutes les intentions familiales, les gens qui lui manquent.

Quelques kilomètres encore pour dénicher un coin tranquille où nous poser et faire enfin les pop-corn au caramel promis depuis longtemps à un petit gourmand.

Dimanche 13 Janvier 2019, on reprend le bac, retour à Delcahue. On ne s'attarde pas. Prochain arrêt Tenaun.

Tenaun

Ravissante, différente, on ne voit qu'elle dans ce tout petit port de pêche. Son clocher bleu se confond avec le ciel d'aujourd'hui. Notre préférée, notre coup de cœur.

Et face à elle, la mer sur fond de Cordillère enneigée ...

Pique-nique pour profiter plus longtemps de cet endroit hors du temps. On remonte ensuite tout au bout de Chiloé, au nord-ouest. On a repéré une toute petite plage qui semble plutôt sympa pour finir la journée. Elle se planque au bout d'une piste que l'on trouve très fréquentée, on y croise plein de voitures. Et c'est bientôt l'embouteillage, la côte d'Azur en plein été ! Nous sommes obligés de nous garer le long de l'étroite piste de sable pentue qui mène à la fameuse petite plage de Ahui. Nous sommes dimanche et toute la ville d'Ancud, la deuxième plus grande ville de l'île, profite du temps magnifique pour venir se baigner sur cette plage de sable blanc. Il est 19 h. On se dit que les gens ne vont pas tarder à repartir. Alors on patiente et vers 22 h nous nous retrouvons enfin seuls face à la mer.

Lundi 14 Janvier 2019, recouverte de brume à mon réveil la petite plage prend des airs mystérieux d'île au trésor.

Mais l'horizon s'éclaircit rapidement pour le plus grand bonheur d'Aloys qui fait aujourd'hui sa rentrée des classes ! CE2, déjà.

Impossible de rester enfermé alors on sort une serviette et on s'installe sur le sable. C'est bien plus motivant.

Il y a un peu de connexion internet ce qui nous permet de recevoir une très mauvaise nouvelle que l'on attendait mais qui reste dure à entendre. On se sent infiniment tristes, loin, seuls, impuissants. La famille nous manque. Aloys nous console avec ses mots d'enfant, ses mots simples et vrais, ses câlins, son enthousiasme à profiter de chaque instant dans ce voyage.

Je me réfugie à l'abri de Philéas, je tire les rideaux, je n'ai aucune envie de discuter avec les gens qui arrivent peu à peu sur la plage. Aloys, lui, parle pour nous et passe l'après-midi dans une bienheureuse insouciance. Gaspard s'occupe, il essaie de réparer l'onduleur qui a lâché ce qui nous prive du 220 V. La journée passe entre larmes et rires. Et Aloys hérite d'un bon coup de soleil, je l'ai pourtant tartiné de crème mais les UV sont puissants, on a tendance à l'oublier dans ces régions plutôt froides.

Mardi 15 Janvier 2019, nuit difficile, matin pluvieux. On plie bagage après l'école pour aller à Ancud, au nord de l'île. Mais on ne verra pas grand-chose de la ville qui n'a ceci dit rien de terrible. Les trombes d'eau nous poussent dans un petit resto à la bonne réputation. Alors c'est reparti pour un curanto, très bon cette fois-ci, au bouillon bien parfumé.

On brave quand même les éléments pour aller visiter une église transformée en musée. Nous y rencontrons la famille "Arc en Ciel" déjà croisée plusieurs fois au hasard des bivouacs. Avec eux nous remontons la rue pour aller voir notre dernière église, un peu tristoune. Trempés jusqu'aux os on se dit au revoir rapidement. Nous faisons les derniers kilomètres du nord de l'île et trouvons un endroit calme avant la tombée de la nuit. Demain nous laisserons l'envoûtante Chiloé, ravis d'avoir pris la décision d'y venir et d'avoir vu une partie de ses trésors. Un ferry nous fera traverser vers le continent et Puerto Montt.

Mercredi 16 Janvier 2019, caprices du ciel, il a aujourd'hui choisi de s'habiller en bleu comme pour nous donner une dernière belle image de cette île méconnue, un visage différent de la Patagonie.

Nous sommes les premiers sur le ferry qui se remplit rapidement et trente minutes plus tard nous débarquons sur le continent. Puerto Montt est à 60 km et signe pour nous la fin de la Carretera Austral.

On tombe sur un joli spot pour déjeuner, juste avant l'entrée de la ville. Gaspard aimerait acheter un nouvel onduleur car il n'a pas réussi à trouver la panne du notre. On passe l'après-midi à faire tous les magasins d'accessoires de bagnoles, à se faire envoyer d'adresses en adresses pour finalement tomber en fin d'après-midi sur un appareil qui pourra faire l'affaire. Je vais pouvoir rebrancher mon sèche-cheveux et ce n'est pas du luxe ! 

La ville de Puerto Montt n'a rien à offrir, encore une ville rectangulaire, tirée au cordeau, bordélique mais pas vraiment désagréable. On y retrouve Jenifer et Guillaume en attente de la vente de leur van ! Nous sommes bien contents de les voir et de passer une dernière bonne soirée avec eux, garés dans un coin tranquille.

Nous sommes nostalgiques en sachant que nous ne les croiserons plus au hasard des routes, dans les stations YPF d'Argentine ou les Copec du Chili, là où ils pouvaient prendre des douches et où nous nous ravitaillons en eau ! On a passé de supers bons moments avec eux. Bonne route les "Chiliens", suerte pour la suite. Et longue vie à la Furgoneta ! Hasta luego amigos. (Merci Jenifer pour cette dernière photo !)

Ainsi va la vie du voyageur faite de belles rencontres au détours des chemins.Nous aussi on repart, en route vers l'Argentine, il y a encore mille choses à voir.