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Sur le Rio Negro, épisode 3

Dimanche 19 Août 2018, Wellington s'est glissé derrière le gouvernail et démarre le moteur, il est 5h30. Par la porte ouverte de notre cabine l'air un peu plus frais chasse la moiteur de la nuit et un premier rayon vient nous chatouiller le nez. Je me lève pour ne pas louper le lever du roi soleil. Grandiose.

Le programme du jour : rejoindre Manaus à 3h de navigation et descendre jusqu'à la rencontre des eaux ... Le Rio Negro s'éveille, le vent aussi qui s'était assoupi cette nuit. Il vient rider finement la surface sombre et bercer les hamacs dans lesquels nous finissons de rêver.

On verrait bien notre maison le long de la berge avec plage privée mais sans croco !

Manaus se dessine au loin sous mon zoom, on va bientôt passer le nouveau pont, continuer un peu au sud et atteindre l'endroit ou commence l'Amazone !

A cet endroit précis se rejoignent le Rio Negro qui arrive de Colombie et le Solimoes qui a pris sa source au Pérou dans la Cordillère des Andes et a changé plusieurs fois de nom depuis sa longue descente, alimenté par plusieurs affluents. Juste après Manaus les eaux limoneuses du Salimoes rencontrent les eaux noires du Rio Negro. Là nait le nom Amazone. Mais elles ne fusionnent pas, elles glissent sans se mélanger ! Un incroyable phénomène qui n'a rien de mystique, il résulte d'une différence de température et de débit. Le Rio Negro est à 28° et coule à 4 km/h, le Solimoes est plus froid, il se trimballe la fonte des neiges de la Cordillère, 21° et coule à 9 km/h. Les deux s'ignorent superbement mais le Solimoes, plus dense, finit par absorber son voisin de palier 150 km plus loin !

Nous voici donc sur  l'Amazone ! 7ooo km pour atteindre l'océan, monstre d'eau douce, fleuve mythique. J'en frissonne.

Isaac m'arrache un peu trop vite à ma contemplation. C'est qu'il veut encore nous montrer quelques endroits incontournables selon lui. On bifurque vers un bras pour longer un drôle de village aux maisons fixées sur d'énormes troncs d'arbres. Elles suivent la hauteur des crues sans dommage et le propriétaire peut décider de changer de voisin quand il en a marre. Il lui suffit de tirer sa maison avec un bateau et d'aller la faire flotter plus loin. Le rêve ! Il y a même une école et une église évangélique. Isaac est insatiable sur le sujet, on ne l'arrête plus ! il s'extasie devant les clims, les télés, le confort moderne de ces bicoques. C'est sympa mais on préfère quand même la rencontre des eaux nous ! Chacun ses rêves ...

Pause idyllique le temps d'un dernier déjeuner, le bateau s'incruste dans la fraicheur de la végétation.

Et au menu du ... piranha !

Dans un bras du Solimoes, le parc naturel de Janauary. Dernière étape de cette croisière pas comme les autres. On accoste le long d'un grand restaurant flottant, Isaac veut nous montrer des nénuphars géants au bout d'une petite promenade sur des pontons branlants qui s"élèvent au-dessus de marécages dont on devine qu'ils ne sont pas franchement remplis de choses sympas. On voit et on entend de drôles de bruits sous l'eau, à mon avis ils sont là serpents et caïmans. Mais on avance au pas de charge, pas le temps d'avoir peur, on vole en suivant notre guide pressé !

J'ai à peine le temps de jouer à cache-cache avec de mignons petits singes. Pieds-nus je demande à Aloys qui me précède de bien regarder par terre et de me signaler leurs crottes qui parsèment le ponton ! Il joue son rôle d'éclaireur à la perfection et m'évite plusieurs incidents désagréables car j'ai toujours le nez en l'air.

On arrive vers le clou du spectacle ... bof ! Les nénuphars font la gueule, à la limite de la décomposition, ils sont en fin de cycle. Mais on imagine à quel point ce devait être joli avant. Dommage. On fait le chemin en sens inverse. La pirogue à moteur nous attend pour nous emmener au cœur du parc.

Un drôle d'arc en ciel plus tard

et c'est notre dernière immersion dans le calme de cet étrange univers foisonnant de vie, sur ces routes d'eaux qui nous font découvrir une infime partie de la richesse exubérante que renferme cette Amazonie tant fantasmée.

Et comme un cadeau, de temps en temps la nature se dévoile. Comment tu t'appelles ?

Sur un autre arbre ... On se regarde curieusement et timidement mutuellement ! Eux je crois que ce sont des singes araignée.

Et voilà, on quitte une jungle pour une autre, bien moins belle ...

On débarque au port de Manaus avec Rose et Isaac. Marilia vient nous chercher pour nous ramener à l'hôtel. Wellington et le discret Rodrigo repartent vers leur magnifique domaine, le lac Acajatuba, ancrer le Lady Mara au pied du Manati Lodge. Un dernier sourire empreint des choses partagées, ils ont été parfaits de gentillesse et de générosité. Aloys est en pleurs.

Pas de larmes, il nous restera les fabuleuses images, les sons, les odeurs, les émotions et un immense coup de cœur pour ce pays à part entière qui nous semblait inaccessible hier encore.

Bon vent Lady Mara, un jour on l'espère on retrouvera la douceur de ton pont bleu ...